Georges Bernanos (1888-1948)
"Ma paroisse est une paroisse comme les autres. Toutes les paroisses se ressemblent. Les paroisses d’aujourd’hui, naturellement. Je le disais hier à M. le curé de Norenfontes : le bien et le mal doivent s’y faire équilibre, seulement le centre de gravité est placé bas, très bas. Ou, si vous aimez mieux, l’un et l’autre s’y superposent sans se mêler, comme deux liquides de densité différente. M. le curé m’a ri au nez. C’est un bon prêtre, très bienveillant, très paternel et qui passe même à l’archevêché pour un esprit fort, un peu dangereux. Ses boutades font la joie des presbytères, et il les appuie d’un regard qu’il voudrait vif et que je trouve au fond si usé, si las, qu’il me donne envie de pleurer.
Ma paroisse est dévorée par l’ennui, voilà le mot. Comme tant d’autres paroisses ! L’ennui les dévore sous nos yeux et nous n’y pouvons rien. Quelque jour peut-être la contagion nous gagnera, nous découvrirons en nous ce cancer. On peut vivre très longtemps avec ça.
L’idée m’est venue hier sur la route. Il tombait une de ces pluies fines qu’on avale à pleins poumons, qui vous descendent jusqu’au ventre. De la côte de Saint-Vaast, le village m’est apparu brusquement, si tassé, si misérable sous le ciel hideux de novembre. L’eau fumait sous lui de toutes parts, et il avait l’air de s’être couché là, dans l’herbe ruisselante, comme une pauvre bête épuisée. Que c’est petit, un village ! Et ce village était ma paroisse."
Dans le nord de la France, un jeune curé confie à son journal ses souffrances aussi bien morales (le peu de foi de ses paroissiens, l'arrogance de certains, la médisance des autres) que physiques (il souffre de l'estomac). Il y consigne également ce qu'il pense être le rôle de l'Eglise, sa croyance dans la "grâce de Dieu"...